Eli Degibri - Cliff Hangin' (2015) [Hi-Res]

Bien qu’Eli Degibri n’ait pas encore atteint la quarantaine lui-même, son tour est déjà venu de s’inscrire dans cette chaine et de transmettre une part de son expérience à des musiciens qui ne sont guère plus âgés qu’il ne l’était, lui, lorsqu’il fut repéré par Herbie Hancock. C’est l’une des raisons d’être du groupe qu’il dirige, formé depuis son retour à Tel Aviv, après une quinzaine d’années passés aux États-Unis, et dans lequel se révèlent deux musiciens dont le talent est déjà incontestable et appelé à briller longtemps, le pianiste Gadi Lehavi (né en 1996) et le batteur Ofri Nehemya (né en 1994). Sur cette terre d’Israël qui s’est avérée particulièrement fertile pour le jazz depuis que des pionniers comme Avishai Cohen, Omer Avital ou Eli Degibri lui-même ont ouvert la voie, la floraison de musiciens doués semble ne pas devoir s’arrêter, ni devoir retomber l’enthousiasme de cette jeunesse pour un langage musical qui aurait pu paraître bien éloigné d’elle et qui est pourtant devenu leur juste vecteur d’expression. Parce qu’il a passé plus de dix ans à fréquenter certaines des personnalités les plus importantes de la scène new-yorkaise, de celles qui ont permis au jazz de franchir le cap du nouveau millénaire, comme Brad Mehldau, Kurt Rosenwinkel ou Jeff Ballard, Eli Degibri est évidemment une figure de référence pour ces jeunes musiciens. Mais il n’aurait pas eu le souhait de former un quartet ni d’enregistrer un nouvel album avec eux, s’il n’avait senti en eux l’étincelle qui distingue les futurs grands musiciens des simples instrumentistes doués. Degibri sait pouvoir compter, en outre, sur le soutien de Barak Mori à la contrebasse, qui a lui aussi tenté (et réussi) l’aventure américaine.

Ce disque est le fruit d’un véritable groupe. Cela s’entend dans l’intensité que prennent les interprétations des compositions du leader au programme, largement investies par ses partenaires qui ont pour eux la fougue de la jeunesse mais aussi une évidente aisance avec le jazz qu’il manie avec le plus grand naturel. Mais celui qui confirme qu’il est de la trempe des ténors qui comptent, et un saxophoniste qui sort de la mêlée pour marquer haut et fort sa différence, c’est Eli Degibri qui continue d’affirmer son époustouflante maîtrise et un lyrisme tourbillonnant qui renverse tout sur son passage. Dans ce format du quartet que l’on pourrait croire bien balisé, il impose, avec une autorité qui ne souffre aucune contradiction, un style véloce, risque-tout, qui jamais n’aborde les choses à demi et semble débarrassé des contraintes instrumentales. Taclant les limites, il fait partie de ces héros du saxophone dont le style est constamment sur le fil, pour qui chaque chorus se joue à corps perdu, comme s’il était le dernier.
Il n’est pas le premier parmi les grands saxophonistes de jazz à révéler un tel écart de tempérament, qui donne d’autant plus d’ampleur à son expression que la musique lui semble chevillée au corps. On peut voir dans ce contraste le signe qu’elle n’est pas, pour le saxophoniste, un simple exercice mais un véritable engagement de tous les instants. Le titre de Cliff Hangin’ ne dit pas autre chose en pointant ce vertige qui prend les jazzmen suspendus au-dessus du vide au moment de se mettre à jouer et qui fait tout le sel de la musique qu’il nous donne à entendre. A 37 ans comme lorsqu’il en avait 19, Eli Degibri n’a pas renoncé à s’offrir ce frisson ni à nous le transmettre. Vincent Bessières

Tracklist:
01. Eli Degibri - The Troll (03:47)
02. Eli Degibri - Cliff Hangin' (05:45)
03. Eli Degibri - Even Bees Do It (02:26)
04. Eli Degibri - King of Blues (05:17)
05. Eli Degibri - Suki the Cat (04:57)
06. Eli Degibri - Twiced (05:22)
07. Eli Degibri - Ocean View (04:09)
08. Eli Degibri - Shesh Besh (04:48)
09. Eli Degibri - Momento Fugaz (feat. Shlomo Ydov) (04:03)
10. Eli Degibri - The Unknown Neighbor (04:55)
11. Eli Degibri - What Am I Doing Here (04:59)